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22 avril 2010

Dalia Ziada

Une belle rencontre...

Dalia est une jeune Egyptienne à la fois voilée, féministe, opposante, blogueuse, fan des Etats-Unis... On pourrait penser qu'elle concentre en elle toutes les contradictions. Pourtant, tout est logique, limpide, quand elle nous raconte sa vie.

Blogueuseblog

 

Le Monde Magazine, semaine du 17 avril 2010

Elle secoue son pays comme on secouerait un cocotier, pour en faire tomber les meilleurs fruits. Son rêve ? Que les 80 millions d'Egyptiens se réveillent du profond sommeil dans lequel ils végètent depuis des décennies. « Il manque à ce pays un jeune leader qui aurait la confiance du peuple et qui libérerait la parole », répète la jeune femme, un joli voile marron-doré lui couvrant les cheveux, à la terrasse d'un café cairote. C'est justement pour combler le silence d'un trop grand nombre d'Egyptiens que l'on retrouve Dalia, 27 ans sur tous les fronts, de la politique à l'humanitaire.

La vie de Dalia a vraiment débuter le soir de ses 24 ans. Sur internet, l'envie lui prend d'ouvrir un blog à son nom, très à la mode en Egypte. Un journal en ligne qui l'a « sauvée ». « Mon père était décédé deux ans plus tôt et je n'arrivais pas à dépasser ce drame. J'avais l'impression qu'on m'avait amputé d'une jambe. Il fallait que je réapprenne à marcher ». L'écriture, quotidienne, et le fait que des centaines d'internautes la lisent, ont été thérapeutiques. « Il m'a permis d'évacuer la colère ». Et de commencer à dénoncer les mille plaies qui rongent son pays. Pauvreté, corruption, tensions interconfessionnelles, violences policières, corruption...

De fil en aiguille, grâce à ce journal, elle se retrouve face à Barack Obama lors de sa venue au Caire, en juin dernier, pour prononcer son grand discours à destination du monde arabe. Puis à Havard, aux Etats-Unis, où elle parle aux étudiants des obstacles à la liberté d'expression au pays des Pharaons. Dès qu'elle a une possibilité de s'exprimer, Dalia saute sur l'occasion. Ainsi, alors qu'elle est encore étudiante à l'université du Caire, la jeune blogueuse entend parler d'un concours de poésies sur ce sujet. En plein dans le mille. Déjà un brin féministe, Dalia est aussi une passionnée des rimes. Dans son texte, Dalia aborde notamment la question de l'excision. Un traumatisme qu'elle a vécu à 8 ans : « Ca a été un choc psychologique plus que physique. Quand « l'exciseuse » s'approche de vous pour vous mutiler, vous avez l'impression que votre famille vous veut du mal, qu'elle vous punit. Vous ne comprenez pas leur acte. Cela crée de profonds troubles psychologiques chez les femmes en Egypte». Grande gagnante de la compétition, elle est repérée par des membres de l'American Islamic Congress, une ONG américain de défense des droits de l'homme. Ils lui donnent la responsabilité de créer l'antenne égyptienne de leur structure.

Elle qui est voilée se retrouve à défendre l'intégrité des femmes... « J'ai mis le voile après le décès de mon père. Personne ne m'y a jamais obligé. Ca a été un choix personnel, basé sur ma relation avec Dieu. Mais quand je vois le nombre d'Egyptiennes qui le portent, j'enrage : 90% d'entre elles ne l'ont pas choisi. Leur famille les oblige. Parfois pour des raisons économies car cela coûte moins cher que d'aller régulièrement au coiffeur. Certaines le portent aussi en espérant qu'elles seront moins harcelées dans la rue. Dans tous ces cas, il n'y a rien de religieux et de personnel à l'origine de cette décision. C'est pour cela que je suis contre ». Dalia rêve de voir de nouveau les Egyptiennes revenir gaiement de shopping, un sac de course sur l'épaule, en débardeur, mini jupe Chanel et talons, comme dans les années 50 quand on appelait encore Le Caire « Paris-sur-Nil »...

Elle se bat pour que les femmes se délivrent de leurs chaînes... mais aussi pour qu'elles cessent d'en admirer d'autres : Les chaînes télévisés religieuses en provenance des pays du Golfe qui prônent le respect de traditions islamiques très anciennes comme la polygamie : « Ces programmes sont de vraies catastrophes. Ils dictent une idée de l'islam intolérante et dangereuse. On a beaucoup régressé à cause d'eux ». Conséquence directe de ces émissions où quelques prédicateurs ont pignon sur rue : L'essor du niqab, ce voile intégral qui ne laisse voir que les yeux, dans les rues égyptiennes. Une femme cachée derrière un drap noir, une aberration pour Dalia. « Nous devons être présentes partout où les hommes sont présents, y compris sur la scène politique ». Quitte à se casser les dents comme cela lui ait arrivé la même année où elle a commencé à porter le voile.

Dans son université, elle sympathise alors avec les jeunes issus des Frères Musulmans - principal mouvement d'opposition en Egypte - qui organisent des réunions d'information sur leurs activités. Dalia devient l'une de leur membre les plus actives. « Et puis un jour, une amie leur a posé cette question durant un rassemblement : Est-ce que vous autoriseriez une femme à prendre la tête de votre partie ? Non, l'islam l'interdit, a rétorqué le responsable du parti. J'ai quitté illico ce mouvement et j'ai réalisé à quel point ils se trompaient sur tout », se souvient Dalia.

Son cheval de bataille, c'est désormais les élections présidentielles de 2011. Hosni Moubarak, le président actuel, pourrait bien se représenter malgré ses 82 ans, dont 30 passés à la tête du pays. Le nom de Gamal Moubarak, son fils, circule aussi. Preuve de la notoriété de cet homme d'affaires de 47 ans, des noktat, blagues à consonances politiques dont raffolent les Egyptiens, circulent déjà à son sujet. Dont celle-ci : « Les assistants de Gamal Moubarak viennent un jour rencontrer Hosni Moubarak: « Monsieur le Président, nous avons un problème. Votre fils veut casser la cloison entre ses deux appartements. Mais le souci c'est que l'un se trouve à Alexandrie (ndrl, au Nord du pays), et l'autre à Assouan (ndrl, au Sud du pays)... ».

Pour s'opposer à ce scénario, Dalia, qui n'est affiliée à aucun parti, a récemment rejoint une étonnante coalition des opposants appelée « Did el Tawrees » (contre la passation héréditaire du pouvoir), un genre de melting pot où l'on retrouve des socialistes, des communistes, des révolutionnaires, des Frères Musulmans... Tous sont unis par le refus de voir leur pays tendre vers la « monarchie ». Pour Dalia, l'homme providentiel capable de prendre la tête de son pays s'appelle Ayman Nour, un Egyptien d'une cinquantaine d'années, chef du parti d'opposition Al Ghad (« demain »), qui a déjà fait plusieurs séjours en prison pour avoir osé s'opposer au président actuel en 2006. Un « corrompu bien sûr » mais qui est « mieux » que Gamal Moubarak ou que les Frères musulmans, selon elle. Ce combat politique a valu à Dalia de devenir la bête noire du gouvernement.

A l'automne dernier, elle organise sur son blog un sondage pour savoir qui les internautes souhaitaient voir prendre les rennes du pays lors des prochaines élections. Au choix, dix personnalités égyptiennes. Le nom Moubarak n'arrivant pas en tête, les autorités ont bien failli faire la peau à notre militante. « En me rendant à mon bureau, j'ai vu une camionnette des forces de sécurité devant l'entrée de l'immeuble. Je les ai contourné et suis montée sur le toit de l'immeuble d'en face où j'ai pu commenté la scène en direct sur twitter et facebook. Dès que l'ambassade américaine a été au courant, les forces de sécurité ont du quitter le lieu sur-le-champ. Ils étaient dégoutés », se souvient Dalia, un petit rire au coin de lèvres.

Oui mais voilà. Ces derniers temps, tout va à vau-l'eau dans la vie de Dalia, l'opposante. Face à Ayman Nour, est apparu Mohamed El Baradei, Prix Nobel de la Paix en 2005 et ancien directeur de l'AIEA (Agence Internationale de Energie Atomique). Cet Egyptien qui vivait jusqu'alors en Autriche, a été plébiscité par les lecteurs du journal d'opposition El-Dustour pour affronter Hosni Moubarak l'an prochain. Désormais de retour dans son pays, cet homme de 68 ans, plutôt réservé, parcourt la campagne égyptienne à la rencontre des habitants. Officiellement, son but n'est pas d'être candidat aux présidentielles. Il plaide pour une modification de la constitution afin de faciliter l'accès au scrutin présidentiel aux candidats indépendants. Mais Dalia sait bien que s'il parvient à son but, la population lui dépliera le tapis rouge. Or pas question pour la blogueuse de soutenir cet intellectuel au parcours pourtant remarquable : « Il est vieux. Ca ne nous changera pas de Moubarak. Et puis il n'a aucune expérience en politique, aucun charisme. Encore mieux vaut Gamal... », lâche-t-elle, un brin résignée.

S'il y en a une qui aimerait la voir jeter l'éponge, c'est bien sa mère. Elle prie pour que sa fille arrête de jouer les Indiana Jones et, surtout, trouve un mari. « Plein de prétendants viennent demander ma main à ma mère. Ce sont tous des religieux. Comme ils me voient voilée, ils croient que je suis pratiquante. Je dis à chaque fois non car l'homme que je veux doit être un modéré, comme moi ». La pratique de la religion est justement un autre différend entre elle et sa famille : « J'ai arrêté de faire mes cinq prières par jour après qu'un cheikh de la mosquée d'Al Azhar ait prononcé une fatwa (ndrl, avis religieux) pour permettre à un homme et une femme de sexe opposé et sans lien de parenté d'être seuls dans une pièce. La condition était que la femme donne le sein à son collège de bureau à cinq reprises. Mais pour qui nous prend-on ? ».


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