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1 décembre 2011

Les coptes inquiets face à la montée de l'islamisme

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Alors que les manifestations continuent en Egypte pour exiger le départ du maréchal Tantaoui, chef du Conseil suprême des forcées armées, et que le nombre de morts ne cesse d'augmenter à quelques jours des premières élections libres depuis 30 ans, notre reporter est repartie à la rencontre des Coptes, qui se sentent de plus en plus isolés. (La Vie)

Collées aux arbres, suspendues maladroitement aux balcons ou placardées au dos des voitures, les affiches électorales ont innondé les rues du Caire. Et des terrasses des cafés jusqu’à l’intérieur des maisons, elles alimentent des débats acharnés entre Egyptiens qui redécouvrent la liberté d’expression après trente ans d’oppression.


22084_chretienne_rafaelA partir du lundi 28 novembre et jusqu’à fin décembre, ils éliront, en trois étapes, les 445 députés de la future assemblée égyptienne qui aura la lourde tâche de rédiger la nouvelle constitution du pays. Parmi les candidats, des socialistes, des libéraux mais aussi des salafistes ou des communistes. Les Frères musulmans, réunis au sein du parti "justice et liberté" sont d’ores et déjà donnés grands vainqueurs. Ils devraient rafler un tiers des sièges du Parlement. Opprimés, torturés, emprisonnés sous l’ancien régime, ils sont considérés comme de véritables héros par les Egyptiens les plus démunis qui doivent leur survie aux nombreux services (hôpitaux, écoles...) apportés par la confrérie. 
Mais leur programme, basé par la pratique rigoriste de l’islam à travers le respect de la charia, la loi islamique, terrifie la minorité copte qui représente 12% de la population. Ces chrétiens vivent cette période électorale comme on se prépare à un séisme.


A Ezbet Rafael, un village à cinq heures de route au sud du Caire, le temps semble s'être arrêté. Les habitants se déplacent encore à dos d'âne sur des ruelles en terre. Mais la bourgade qui compte 300 familles coptes orthodoxes pour 150 musulmanes, n'est pas épargnée par le tourbillon électoral. Les affiches du parti "justice et liberté" sont là aussi omniprésentes.
Le Père Benyamin, la trentaine, en charge des chrétiens du village, se bat pour que la tempête islamiste soit évitée. Pour prouver que tout est possible à force de volonté, il indique de l'index son église, sa plus grande fierté. "Il ne lui manque plus que ses papiers officiels !" lance-t-il énergiquement faisant valser sa longue toge noire frappée de deux croix jaunes.  Derrière lui, l'édifice impressionne par sa discrétion. De l'extérieur, rien ne laisse à penser qu'il s'agisse d'une église. Quand il est arrivé ici en 2003, il y avait des dizaines de mosquées mais pas un lieu de culte pour les coptes, faute de permission pour en ériger un. "Mais 300 familles chrétiennes, ça compte tout de même !". Une nuit, dans ses prières, il reçoit un appel pour construire une église malgré le refus des autorités. Sitôt le chantier débuté, commence le calvaire pour le prêtre : Les interminables interrogatoires dans les locaux du commissariat d'Assiout, la ville la plus proche, les menaces de mort, l'envoi des cinq policiers postés jour et nuit devant le chantier pour éviter l'édification de l'église. Mais Père Benyamin tient bon et finit la construction. Aujourd'hui, huit mois après la révolution, les policiers ont disparu et le prêtre en a même profité pour bâtir rapidement un troisième niveau à son église. "Cette expérience m'a prouvé qu'il ne faut jamais baisser les bras, même dans les moments les plus sombres", témoigne-t-il.
S'il tient tant aujourd'hui à obtenir des papiers officiels pour son église, c'est pour la rendre moins vulnérable face à une poignée de fanatiques musulmans qui, poussés par des cheikhs pour perfusion financière et idéologique de l'Arabie Saoudite, n'hésitent à pas incendier une église sous prétexte qu'il y ait un doute sur les conditions qui entourent sa construction. Ce fut le cas le 9 octobre dernier à Marinab, une petite ville dans la région d'Assouan. Les assaillants, des salafistes, ont attaqué le lieu de culte à coup de cocktail molotov. La colère des coptes a soufflé jusqu'aux Caire où des centaines d'entre eux ont marché jusqu'à Maspero, les locaux de la télévision publique devenus leur point de repère. Le rassemblement pacifique se termine en carnage :  25 manifestants, selon le bilan officiel, meurent sous les balles et les coups des militaires  -qui administrent le pays depuis la chute de Moubarak - ainsi que des baltaguis, hommes de main payés pour semer le trouble. Ici, en Haute Egypte comme dans le reste du pays, cette attaque a fini d'achever les espoirs des coptes nés au lendemain du 25 janvier. "Avant la révolution, il y a eu l'attentat contre l'église d'Alexandrie (ndlr :le soir du 31 décembre 2010, 21 morts) et maintenant, il y a Maspero. Qu'est-ce que la révolution nous a apporté ? C'est encore pire. Au moins la dictature protégeait un minimum les minorités, maintenant, c'est le chaos, les fanatiques n'ont plus personne à craindre", s'emporte Emad, un père de famille désabusé qui trouve du réconfort en passant tout son temps libre à servir sa paroisse.

22084_benjmainPère Benyamin a conscience qu'une étincelle peut provoquer le feu entre les deux communautés. Pour cela, il s'est constitué dans le village un réseau de personnes influentes - musulmanes et chrétiens- pour pouvoir désamorcer les tensions le cas échéant. A l'école publique du village, le prêtre est accueilli par son directeur, musulman. Les deux hommes combattent ensemble les discriminations qui sévissent sur les bancs de classe. Car le constat est désolant. Abanob, 15 ans, scolarisé au collège voisin, confie :  "Nos professeurs nous demandent d'apprendre des passages entiers du Coran, comme s'il s'agissait de poésies ! Il faut ensuite les réciter devant toute la classe. Si on refuse, ils nous punissent.  Il y a aussi les cours de religions. Dans mon école, ça se limite aux leçons sur le Coran. Ils pourraient nous séparer mais ils ne le font pas. Quand j'étais plus jeune, j'avais des amis musulmans mais plus j'ai grandi, plus mes rapports avec eux sont devenus difficiles. Maintenant, on se contente de se dire bonjour de loin". Chaque mois, Père Benyamin vient marteler aux professeurs :  "Votre rôle ce n'est pas seulement de leur faire apprendre une leçon, il faut surveiller leur comportement. S'ils disent quelque chose de mal à leur camarade, vous devez leur dire". A côté de lui, Fayez, le directeur de l'établissement, appuie les propos d'un geste de la tête. A la fin de la rencontre, il confie " les islamistes, ce n'est pas seulement le cauchemar des chrétiens, c'est le mien aussi. En tant que musulman modéré, je ne fais pas confiance aux Frères musulmans et encore moins aux salafistes. Ce mélange entre politique et religion, je n'y crois pas. Ce n'est pas notre Egypte !".

La rencontre terminée, Père Benyamin, infatigable, repart sur les routes de campagne, munis de son grand sourire, à la rencontre des fidèles bien au-delà de sa paroisse. L'une des ses étapes habituelles, Al Qosseya, une ville de 30 000 habitants dont 10 000 coptes à une dizaine de kilomètres d'Ezbet el Rafael, où se trouve l'évêché. Un évêché cerné par une trentaine de mosquées, pour la plupart flambant neuves, et d'une demie douzaine d'autres en construction. L'une d'entre elle a dirigé son haut-parleur directement au niveau de la chambre de l'évêque. Lors des cinq prières quotidiennes, les "allah wa akbar" raisonnent dans le bâtiment excédants les prêtres contraints de communiquer par des gestes. Ce vacarme n'est pas nouveau, il joue avec leurs nerfs depuis une dizaine d'années. "Entre eux et nous, c'est la guerre froide : On reste chacun poli car on ne veut pas s'affronter de face, mais on n'en pense pas moins. Surtout maintenant qu'ils savent qu'ils ont le vent en poupe, ils n'ont pas de scrupules à nous inonder de leurs prières ou même à insulter notre évêque lors des prêches le vendredi,", s'exclame Père Luc, devenu prêtre pour soutenir sa communauté en souffrance.
 "Ces derniers temps, on a du réduire nos activités. On ne veut pas être trop nombreux réunis à un même endroit. On craint une attaque" , prévient Père Benyamin. De nouvelles règles visiblement difficiles à faire respecter. La cour de l'évêché, comme l'église attenante, fourmille, de l'aube jusqu'au coucher du soleil, defamilles dans leurs plus beaux habits. L'endroit, qui permet aux coptes de sortir de leur isolement est un refuge salutaire en particulier pour les femmes.  Parmi la foule, Abanob, le collégien, est là avec sa mère. Ils vivent dans un petit apparemment accolé à l'église. Devant un verre de soda, Manale, sa mère, s'abandonne : "Avant la révolution, je n'avais jamais entendu le mot salafiste. Maintenant, ils sont partout dans les rues avec leur barbe et leur visage fermé.  Quand on passe à côté d'eux, ils disent en arabe "Mon Dieu, aie pitié pour elle". Tout ça parce que je ne suis pas voilée !". Dans le salon, le poste de télévision alterne entre deux chaînes : El Aghapy, la chaîne traditionnelle copte égyptienne et El Haqiqa, "la vérité", cette fois-ci financée par la diaspora copte aux Etats-Unis. Crée par Ahmed Abaza, un musulman converti au christianisme, el Haqiqa a de nombreuses fois incitées à la haine contre les musulmans en colportant de fausses rumeurs. "C'est la seule qui relate vraiment nos problèmes. Mais je zappe quand Ahmed Abaza prend la parole. Lui, je ne le supporte pas. On voit bien que c'est un ancien musulman dans la manière dont il s'exprime, il y a tellement de violence dans ses propos", lance-t-elle en frottant nerveusement ses mains laissant apparaître au creux de son poignet la petite croix tatouée que portent tous les coptes en signe d'appartenance à la communauté.
22084_fouleManale n'ira pas voter aux prochaines élections :"A quoi ça sert ? Elles seront truquées une nouvelle fois". Pas facile d'effacer d'un revers de la main trente ans d'oppression. La participation aux élections, c'est le combat de Père Benyamin et de son ami le Père Luc. Ils soutiennent le "bloc égyptien", une coalition de socialistes, communismes, libéraux, chrétiens. Leur programme électoral ? Inexistant comme la plupart des partis. Leur force se trouve dans leur ferme volonté de faire front contre les Frères musulmans et les salafistes. Père Benyamin analyse :   "Il faut nous unir à tous les musulmans modérés, les vrais Egyptiens. Si nous votons tous, les extrémistes n'auront aucune chance".

 

Crédit photos  : Françoise Beauguion 

 

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