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30 octobre 2012

Ces Egyptiens qui partent pour le djihad en Syrie

560 morts, c'est le bilan des 4 jours qui se sont écoulés en Syrie : 4 jours censés être une trêve dans les combats pour la fête de l'Aïd El Adha. Pour la première fois, l'armée de Bachar Al Assad a bombardé Damas aujourd'hui.

Ces violences incessantes contre le peuple syrien poussent de plus de volontaires de pays de la région à venir prêter main forte à l'armée syrienne libre. C'est le cas de certains égyptiens, recrutés et acheminés dans le plus grands secret. Marion Touboul et Ahmed Hassan Sami ont pu en rencontrer quelques uns au Caire, des hommes qui veulent s'engager et qui parfois ont été destabilisés par ce qu'ils ont trouvé sur place.

 

 

                                                                   BONUS

 

Portrait d'Ahmed, 31 ans, qui revient des combats en Syrie.

 

Ahmed a tout du fils à papa. La grosse voiture, la chemise Eden Park, la poigne de main ferme, l’anglais parfait. Même son travail, Ahmed le doit à son père. Il est chef d’entreprise dans la holding familiale. 

 

Un fils à papa à un détail près,  “mon père ne s’est jamais rebellé contre quiconque, il adorait et adore toujours Moubarak, c’est un vrai fouloul”, dit-il croisant confortablement les jambes dans l'un des grands fauteuils qui trônent dans le salon de l’appartement de ses parents à Héliopolis. Son géniteur est occupé à surveiller le chantier d’un immeuble qu’il fait construire dans un compound du Caire, Ahmed a pris possession des lieux. Il allume une cigarette et sort des verres à Whisky “du jus de pomme, ça vous va ?" Il a arrêté de boire il y a une dizaine d’années “j’ai abusé des fêtes et j’avais envie de faire mes cinq prières, non que je sois devenu un conservateur, juste un musulman qui s’intéresse et souhaite pratiquer sa religion dans son coin”.

   

Ce fut sa première grande décision dans sa vie d’homme.

  

Après, j’ai arrêté de croire aux beaux discours”. C’était au lendemain de la révolution. Les Occidentaux, Français et Américains en tête, déversent leurs discours sur la démocratie, sur ce à quoi devrait ressembler l’Egypte. “La liberté, ça n’existe pas. Si c’est le modèle que vous défendez en France, j’en suis d’autant plus opposé. Vous dites que tout le monde est libre et vous interdisez aux femmes de porter le niqab”, lance-t-il entre deux bouffées de cigarettes, cherchant la provocation.

 

Plus récemment encore, depuis son retour de Syrie, Ahmed a pris une troisième grande décision : Il a arrêté de croire aux médias. Un soir d’été, seul devant son écran, il zappe et tombe sur un reportage qui montre des enfants torturés par Bachar. “J’ai été convaincu de la nécessité de partir pour le Djihad en Syrie. C’était pour moi devenue une évidence, il fallait que je lutte contre les injustices. Le Djihad, pas nécessairement pour tuer mais pour lutter, protéger d’abord”. La nuit durant, il tourne et retourne l’idée dans sa tête. Au petit matin, il est décidé. 

 

Deux ou trois coups de fil à ses amis révolutionnaires égyptiens en contact avec l’armée libre syrienne sur Facebook (!) et l’affaire est pliée. Ahmed, le fils bien propret partisan de rien et surtout pas des Frères musulmans, ni des salafistes, partira la semaine suivante. “Mon père était furax, ma mère m’a dit que ce serait haram de m’interdire de faire le djihad”. Peut-être sa mère s’est-elle tout simplement résignée face un fils qui n’en est pas à son premier fait d’armes. En 2006, Ahmed rejoint, seul, la mobilisation des juges égyptiens qui protestent contre la fraude électorale. L’un des plus violents rassemblements de l'ère Moubarak. Il crie. Cela lui fait du bien de crier. C’est la première fois qu’il se lâche. Il est tellement content qu’il continue et continue jusqu’à ce que la police l’attrape, le passe à tabac puis le jette au cachot. Dans la cellule d’à côté, il fait la connaissance d’un certain Mohamed Morsi : “on a beaucoup parlé, il me prêtait des livres”. L’aventure dure deux mois. “Aujourd’hui, si j’allais à son bureau, je suis sûr qu’il se souviendrait de moi et me serrerait dans ses bras”.

 

Il y a un an, le fils de bonne famille fait encore parler de lui. Son nom et sa photo figurent à la une de tous les journaux. L’ambassade d’Israël vient d’être mise à sac et Ahmed est soupçonné d’être l’instigateur du saccage. Ahmed se marre : “J’étais l’ennemi numéro un des militaires, c’était trop drôle. Je devais me cacher chez des amis, j’étais devenu un héros de films de science fiction !”.

 

Les proches de son père commencent à tiquer et veulent virer le trublion. 

 

Fin août, Ahmed prend donc son billet pour la Turquie “un aller simple” précise-t-il “dans 90% des cas, j’allais y mourir”. Arrivé à Idlib, à proximité d’Alep, il donne les 1500 dollars pour acheter la fameuse kalach. “Avec une arme, tout devient plus fort. Ton coeur bat plus fort. Les sentiments de peur, de joie sont exacerbés. Tu tiens en main ton destin”. Tout se complique quand on l’intègre à une katiba où les hommes se disent appartenir à Al Qaida.  “On parlait beaucoup de Ben Laden. Pour moi pas de problème. Je l’ai toujours vu comme un grand homme, un grand résistant. Il était riche et aurait pu rester confortablement chez lui mais il a choisi le combat contre l’oppression”. Mais les divergences avec ses amis d’armes ne tardent pas venir gâcher l'ambiance. “C’est simple, à part sur Ben Laden, on n’était d’accord sur rien. Ils veulent imposer leur vision de l’islam, ils sont prêts à tuer gratuitement et ne collaborent sur le terrain avec personne d’autre”.

 

Une autre désillusion va convaincre Ahmed de rentrer au bercail : “il y avait des agents de la CIA partout, la preuve que ce n’est pas un conflit entre Syriens. L’Amérique opère en sous main. C’est elle qui décidera quand et comment Assad mourra. Exactement comme les services secrets français ont choisi l’heure et la manière pour tuer Kadhafi. Dans ce contexte, nous, les combattants, on est des guignols. Je me suis dit que si je meure en Syrie, Dieu pourrait me reprocher d’avoir choisi un mauvais chemin. J’avais alors le choix d’aller à Alep, j’ai refusé”.

 

 Dans son salon, Ahmed pousse le volume dans sa chaîne hifi à fond. Il écoute ça

   

Le dernier opus des Ultras de l’équipe d’Al Alhy 

 

Vas-y tue encore la révolution/propage ton injustice 

Je n'oublierai jamais que tu étais l'esclave du régime.

Nous avons cherché la mort pour avoir la liberté et faire chuter les symboles de la corruption.

Nous ne nous sommes pas calmés car l'ex-régime est toujours là.

Les policiers sont des chiens et l'injustice existe toujours.

Vas-y, tue encore la révolution/le mot "liberté" te rend fou 

Tu creuses ton injustice /tu seras toujours un lâche

 

Ahmed chante fort et rit, encore et encore. Depuis son retour, le fils rebelle a été viré (“cette bande de corrompus n’a pas apprécié ma démarche, normal”); sa petite copine l’a quitté (“de toute façon la seule fille que j’ai vraiment aimé était chrétienne et on n’a jamais accepté qu’on se marie ensemble”) et des Frères musulmans ont cogné des manifestants(“tous des menteurs, trois mois qu’ils sont au pouvoir et pas foutus d’insuffler un début de changement, rien”).

Il dit avoir plein de projets et être optimiste. Heureusement car on pourrait croire que derrière ses rires nerveux se cache un début de dépression.

 

Traduction de la chanson  : Ahmed Hassan Sami

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