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28 novembre 2013

Quand coptes et musulmans retrouvent le chemin de la tolérance

 

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Comme chaque dimanche à Choubra, Père Samuel fait tinter les lourdes cloches de son église. Des familles dans leurs plus beaux habits aussitôt affluent, se frayant un chemin dans les rues encombrées et poussiéreuses du quartier. Situé entre le Nil et la gare centrale Ramses, dans le nord du Caire, Choubra se dessine comme une gigantesque fourmilière :  80 000 habitants se partagent moins de trois kilomètres carrés. Malgré cette densité vertigineuse, coptes et musulmans y ont toujours cohabité. Dans un dédale de ruelles fleuries et animés, se succèdent des pharmacies aux vitrines recouvertes de grands portraits de la Vierge Marie et des boulangeries où ronronne le Coran. Une mixité qui se retrouve jusqu’aux étages des immeubles où des familles musulmanes et chrétiennes occupent souvent le même palier. 

Les portes de l’église orthodoxe du Père Samuel sont grandes ouvertes. Le gardien sommeille, personne ne contrôle l’identité des visiteurs malgré les appels des autorités à la plus grande vigilance depuis le 14 août date à laquelle les autorités dispersent dans un bain de sang les partisans du président déchu réunis sur la place Rabaa Al-Adawiya, au Caire, faisant officiellement 525 victimes. En réaction, des islamistes ciblent les coptes, pillent et incendient 45 églises et 4 monastères, pour la plupart dans la province de Minya, en Moyenne Egypte. Pendant plusieurs semaines, les chaînes de télévision gouvernementales affichent alors ce bandeau à l’écran : “l’Egypte est en guerre contre le terrorisme”.

A l’intérieur de la petite église joliment décorée de moulures en bois, des femmes allument un cierge devant une icône de Saint Georges. Comme les hommes et les enfants, elles portent une petite croix tatouée au creux du poignet ou sur la main. C’est le signe de leur appartenance aux coptes orthodoxes, majoritaires parmi les chrétiens d’Egypte qui représentent entre 6 et 8 % de la population, soit 6 à 10 millions d’Egyptiens. Au centre de l’église, le Père Samuel, dans sa longue robe blanche piquée d’une croix dorée, bénit l’assemblée et récite la liturgie en langue copte, terme qui signifie à l’origine en grec ancien “égyptien”. Dans un nuage au parfum de myrrhe, les enfants chahutent, leurs mères leur courent après en riant, les visages sont étonnement détendus, presque joyeux. A la fin de l’office, alors que les fidèles viennent un par un le saluer, Père Samuel murmure, un large sourire perçant son épaisse barbe poivre et sel : “On ne craint rien, car les musulmans du quartier désormais nous protègent. Ils nous ont défendus quand l’église a été attaquée à trois reprises par des hommes armés de bâtons et de couteaux. Sans eux, cette église serait sans doute détruite, comme celles de Minya”. 

A la différence de la Moyenne Egypte, ici de puissants comités de quartiers, composés de chrétiens et de musulmans, ont pu repousser les islamistes l’été dernier. Depuis, le calme est revenu autour de l’église et les rapports entre les deux communautés sont détendus. “Avec l’arrivée au pouvoir des militaires, les coptes se sentent de nouveau inclus dans la société, analyse Gaetan Du Roy, doctorant en histoire à l’université de Louvain-La-Neuve qui a vécu cinq ans en Egypte. Ils se reconnaissent dans le fort sentiment national véhiculé par l’armée. En identifiant un ennemi commun, ici les islamistes, les autorités ont réussi à ressouder une grande partie de la population”.

Ressouder de nouveau coptes et musulmans laïcs. Les chrétiens de Choubra, qui représentent environ un tiers des habitants du quartier, n’osaient plus y croire. Ils ont aujourd’hui le sentiment de se réveiller d’un long cauchemar débuté en juin 2012, lors de la victoire aux présidentielles de l’islamiste Mohamed Morsi. 

Dans la petite rue Badia, des dizaines d’Egyptiennes, panier en osier à bout de main, se pressent pour faire leur marché. Entre les immenses pyramides de tomates et celles de goyaves aux effluves vanillées, les voiles des musulmanes caressent les nuques des chrétiennes au brushing impeccable. Les femmes s’échangent même entre elles des secrets de cuisine. En mars dernier, la rue fut pourtant l’épicentre d’une dispute qui aurait pu faire sombrer Choubra dans la violence. A deux pas du souk, dans la cour de l’école publique, une bagarre éclate entre des écoliers musulmans. Un coup de feu retenti, un enfant est tué. Gamal Saber, un chef salafiste ultra-conservateur, dont les fils figurent parmi les accusés, rejette aussitôt la faute de l’assassinat sur les chrétiens du quartier. L’islamiste appelle alors les musulmans à réduire en cendres les vingt-quatre églises de Choubra. La terrible rumeur crée un vent de panique parmi les coptes qui n’osent plus sortir de chez eux. “Tous les chrétiens redoutait le pire tant cet homme avait pignon sur rue. Les musulmans les plus pauvres du quartier l’écoutaient et lui obéissaient”, confie une jeune copte pointant du doigt la maison du salafiste, aujourd’hui aux volets clos. La police restera plusieurs jours sur le qui-vive le temps que l’enquête conclue en la responsabilité de la famille du salafiste. Par la suite, malgré l’incident, Gamal Saber va continuer à dénigrer les coptes lors de ses nombreux passages télévisés, les qualifiant de “stupides”, allant même jusqu’à défendre le rétablissement de la geziya, l’impôt des chrétiens et juifs dans les pays musulmans au Moyen Age. “Malheureusement, Gamal Saber n’a rien d’un cas isolé à Choubra. Il est le fruit d’une vague d’immigration qui a déstabilisé le quartier dans les années 70. Des familles pauvres du sud de l’Egypte, fortement islamisées, ont migré vers Le Caire pour trouver du travail. Elles se sont installées à Choubra parce que c’était l’endroit le plus proche de la gare où elles sont arrivées. A partir de ces années-là, la tolérance qui définissait Choubra s’est effritée. Le climat s’est tendu, certains coptes ont commencé à déménager vers d’autres quartiers plus calmes”, constate l’historien Mohamed Afifi, originaire de Choubra et qui travaille actuellement sur un livre intitulé “Choubra, la petite Alexandrie du Caire”, à paraître l’an prochain.

Quand on évoque la rumeur aux commerçants, la plupart se braque, soucieux de ne pas entacher l’image de ce quartier dont ils sont si fiers. Seul le volailler, Mahmoud Sayed, accepte de se confier dans son arrière-boutique : “Tout cela, c’est de la faute de Morsi... Son élection a encouragé des personnes comme Gamal Saber à semer le trouble entre chrétiens et musulmans. Les islamistes se sont crus tout permis”. Mahmoud a pourtant voté Morsi, comme la majorité des habitants de Choubra, lors des présidentielles de 2012. “Je pensais qu’un pays dirigé par des hommes pieux ne pourrait pas aller dans le mauvais sens. Je me suis trompé”.

Face à l’appauvrissement et à la montée du fondamentalisme dans son quartier, Andrew, un jeune copte de 24 ans, désespère alors : “Je me demandais comment mes amis musulmans avaient pu être séduit par Morsi et son mélange bancal entre politique et religion”  se souvient-il, accoudé au balcon de l’appartement familial d’où minarets et clochers dentellent le ciel. “Voter pour un islamiste, c’était vouloir la fin des coptes en Egypte. Comment aurions-nous pu survivre ? Je n’ai jamais pu considérer cet islamiste comme mon président”, fulmine-t-il encore. En plus de la croix au poignet, se dessine sur son épaule les contours d’un imposant Christ en croix : “C’était il y a longtemps...” se contente-t-il de dire. Depuis la révolution de janvier 2011, comme beaucoup de jeunes coptes, Andrew préfère assister à des réunions politiques plutôt qu’à une messe. Il reproche à sa communauté son manque d’ouverture préférant “dresser des parpaings autour des églises plutôt que de dialoguer avec les musulmans”. Après le passage de la rumeur, Andrew rêve d’une seconde révolution, qui conduirait Morsi à la démission. Il rejoint Tamarrod (“rébellion”, en arabe), composé de trois jeunes musulmans à peine plus âgés que lui, qui organisent une pétition géante contre le président. Il devient l’un des relais du mouvement à Choubra. Mais alors qu’il colle la première affiche du groupe sur son palier, sa voisine aussitôt réplique en accrochant un portrait géant du dirigeant islamiste. Une guerre silencieuse bruisse dans son immeuble. Le militant part ensuite dans sa paroisse récolter des signatures. Mais les coptes refusent de signer de peur de représailles si les Frères musulmans découvrent la liste. Andrew commence alors à sillonner les rues de Choubra avec les pétitions sous le bras. Là, interloqués, les habitants du quartier, l’arrêtent. Ils lui confient leur déception et leurs inquiétudes face à un président qui nomme ses proches aux postes clés du pays et ne prend aucune mesure pour endiguer la crise économique qui mine le pays. “Au bout d’une semaine, les gens faisaient la queue pour signer. En une journée, il nous arrivait de collecter jusqu’à 12 000 signatures !”. Quand le 30 juin, pour le premier anniversaire de l’investiture de Morsi, Tamarrod appelle les Egyptiens à manifester, musulmans et chrétiens s’emparent des rues de Choubra pour crier ensemble “dégage !” au président. “Il y avait tellement de monde que je n’ai pas pu me rendre sur la place Tahrir, à vingt minutes d’ici !”, se remémore, ému, Andrew. A travers le pays, des dizaines de millions d’Egyptiens sortiront manifester. 

On sonne à sa porte. C’est John, un voisin. Malgré le diplôme de graphiste pour l’un et d’informaticien pour l’autre, les deux jeunes Egyptiens sont au chômage. Chaque semaine  ils se retrouvent pour s’échanger des offres d’emploi et envoyer des candidatures. “Le garagiste en bas cherche des mécaniciens, qu’est-ce que tu penses ?”, propose Andrew.  “Mécanicien ? Mais je viens de terminer des études supérieures, ce n’est pas pour réparer des voitures”, rétorque John, découragé. Aucun ne pointe pourtant une discrimination en raison de leur religion : “Tous les jeunes de ma promotion sont au chômage, c’est à cause de Morsi, il a ruiné le pays”, peste John. Ils rêvent désormais d’émigrer comme l’a déjà fait une grande partie de leur famille respective. John projette de devenir serveur dans le restaurant chinois de son oncle, à San Francisco.

 

Père Samuel constate un phénomène similaire dans sa paroisse : les bans de l’église de se vident de mois en mois : “Depuis la révolution et surtout pendant la période où Morsi était au pouvoir, les familles qui avaient déjà un parent au Canada, en Australie ou aux Etats-Unis ont déposé un dossier d’émigration. Beaucoup ont obtenu un visa. C’est une tragédie car on a perdu des chrétiens très éduqués qui auraient pu protéger d’autres, plus vulnérables”. Selon un rapport de l’Union égyptienne des droits de l’homme, près de 100 000 coptes auraient choisi le chemin de l’exil depuis la révolution de 2011. Dans son bureau de l’avenue de Choubra, l’avocat Naguib Gabriel, à l’origine de l’enquête, reçoit chaque semaine des familles qui viennent se renseigner sur les modalités d’émigration pour raisons religieuses. “A l’époque des Frères musulmans, des femmes me racontaient leur agression dans le métro par des Egyptiennes qui voulaient qu’elles se couvrent la tête. On leur crachait dessus dans la rue. Les coptes avaient peur, ils se sentaient dans une impasse”. L’arrivée au pouvoir des militaires a-t-elle rassuré la communauté ? “Pas vraiment, note l’avocat. Les chrétiens restent toujours victimes de graves discriminations dans le domaine du travail notamment. Beaucoup me disent que leur hiérarchie leur refuse une promotion en raison de leur religion”. 

En attendant de choisir entre un avenir en Egypte ou en Occident, Andrew passe une grande partie de ses journées à s’ennuyer dans les rues de son quartier ou à rendre visite à ses amis. Il sonne à l’interphone de son voisin, Mohamed, mais une voix lui répond sèchement  : “Mon fils n’est pas là. Qu’est ce que vous lui voulez ?”. Quelques minutes plus tard, le jeune homme arrive et s’excusant : “Mon père pensait que vous étiez de la police et que vous vouliez m’arrêter”. Mohamed est membre des Frères musulmans, organisation à laquelle appartient Morsi mais qui vient d’être dissoute et interdite en Egypte par le nouveau gouvernement. Depuis l’été, les autorités ont lancé une véritable chasse aux sorcières contre ces islamistes, appelant même la population à dénoncer à la police leur présence dans une rue ou un immeuble. Les divergences politiques n’ont pourtant pas empêché les deux amis, qui se connaissent depuis la maternelle, de garder des liens très étroits. Attablés à la terrasse un café, un thé fumant devant eux, ils commentent la destitution du président islamiste et la prise de pouvoir par l’armée. Au-dessus de leur table trône le portait du général El Sissi, 58 ans, considéré comme un sauveur par une écrasante majorité d’Egyptiens pour avoir destitué le président. Morsi n’avait aucune chance, analyse Mohamed. En Egypte, chaque famille a un oncle ou un cousin qui travaillait pour l’ancien régime comme fonctionnaire, instituteur, policier. Dès la victoire de Morsi, toutes ces personnes ont commencé à faire grève. C’était impossible pour lui de faire avancer le pays, les proches de Moubarak lui ont miné le terrain. Désormais, avec les militaires, on retourne comme au temps de l’ancien régime”, enrage le jeune homme qui vient de démissionner après une dispute avec le patron chrétien du cyber café où il travaillait. “ Il répétait à longueur de journée que tous les frères musulmans étaient des terroristes. Mais moi j’étais sur Rabaa Adawiya le 14 août, j’ai ramassé les corps d’hommes et de femmes qui étaient venus manifester pacifiquement, je n’ai pas vu de terroristes . Andrew, comme Mohamed, reste très méfiant vis-à-vis des militaires. Il garde en mémoire le massacre de Maspero, au Caire, en 2011, quand le général Tantawi, alors à la tête du pays, décide de réprimer dans le sang une manifestation de coptes. L’intervention des forces de l’ordre fait 28 personnes victimes dont certaines écrasées par des chars de l’armée. “Il nous faut un président civil, pas un militaire”, martèle Andrew. Selon la feuille de route prévue par l’armée, des élections présidentielles auront lieu en Egypte d’ici le printemps 2014. Le très populaire général El Sissi pourrait alors présenter sa candidature et peut-être devenir le cinquième président issu de l’armée après Mohamed Naguib, Nasser, Sadate et Moubarak. D’ici là, un projet de constitution, rédigé par un comité formé de membres de courants libéraux et de gauche, devrait être soumis par référendum aux Egyptiens en décembre prochain. Si l'instauration d’un quota de chrétiens au Parlement, réclamée par l’Eglise copte ne sera vraisemblablement pas établie, en revanche, l'article 3 qui protège la communauté en affirmant son droit à appliquer les règles de sa religion dans le domaine du droit civil et de la gestion du culte devrait être maintenu. Un acquis dont s’est félicité Tawadros II, le patriarche de l’Eglise copte orthodoxe.

La nuit tombe sur Choubra, Andrew et Mohamed ont cessé de parler politique pour évoquer leurs histoires amours respectives. Mohamed va épouser sa fiancée, une étrangère, pour échapper au service militaire. Andrew, lui, demande des conseils pour que la famille de sa petite amie musulmane accepte leur relation : “Retourne dans ton église, allume un cierge et prie !”, lui répond Mohamed. Choubra, la tolérante, est en train de renaître. 

 

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