Les dessous d'un reportage en Syrie

Réaliser un reportage "voyage" en Syrie, l'idée paraît saugrenue tellement le pays a mauvaise presse. C'est pourtant un pays qui recèle de merveilles.
Ainsi donc, j'en ai parlé à mon interlocuteur au service "Voyage" de Libération. Très enthousiaste, le chef du service propose une "balade à travers plusieurs sites archéologiques de Syrie". Mais Palmyre ou le Krak des Chevaliers au mois d'août, c'est 50° à l'ombre. L'idée était inenvisageable.

J'ai alors proposé un sujet plus « estival », l'île d'Arwad, la seule du pays.  Arwad est un village sur la Méditerranée de 800 mètres de long sur 3 km de large. J'avais eu l'occasion de m'y rendre l'année passée et avais constaté à quel point ce bout de terre est agréable pour le vacancier qui boude l'archéologie.

"Adjugé" ! Libé prend.

John, un photographe londonien qui vit à Damas, viendra avec moi. Il se charge de réserver les tickets de bus pour Tartous, au bord de la Méditerrannée, d'où nous prendrons un bateau. Je réserve, quant à moi, l'hôtel.

Pour voyager  en bus l'esprit tranquille, John a une astuce : les bus VIP, « Very Important Passengers ». Pour 2 euros de plus, vous avez droit au confort dingue d'un TGV 1ère classe et à connaître l'heure de l'arrivée de votre bus à destination.

Nous partons donc, à l'heure, sous la bénédiction de Hassan Nazrallah (chef du hezbollah), un grand VIP en Syrie pour avoir osé affronter le grand ennemi, Israël.

Mais ce qui différencie en Syrie un bus classique, d'un bus de luxe, c'est la diffusion, pour les VIP, d'un film égyptien. Ainsi allons nous regarder "l'expérience Danois".  L'histoire se déroule au Caire où une grande blonde sexy étrangère sème le trouble dans un groupe d'amis égyptiens. La dernière fois que John avait vu ce film dans un bus, les 49 passagers avaient les yeux braqués sur la minijupe de l'actrice, lorsque le 50e s'est offusqué et a ordonné un chauffeur d'éteindre la TV « vous n'avez pas honte de diffuser un film érotique occidental ? ». Remarque à laquelle John qui, étant le seul occidental du bus s'était forcément senti visé, avait timidement fait remarqué qu'il s'agissait d'un film égyptien...


3 heures plus tard, le bus s'arrête, il fait une chaleur moite, et salée.Nous sommes arrivés à destination, au bord de la mer.

L'hôtel est un taudis. A l'intérieur, la femme du patron, avachie sur un canapé, devant la série Nour (l'équivalent de Plus belle la Vie).

Dans le hall de l'hôtel, accrochés au mur, des photos de groupes de touriste en companie des hôteliers lors d'une excursion en mer. Un peu plus loin, de vieux tee shirts imprimés au nom de l'hôtel sont étendus sous une vitrine. On est forcément très choqué de voir la différence entre l'ambiance avant et maintenant dans cet hôtel.

On pense alors au pire, au décès du patron, à un fait sordide. Mais rien de tel enfin... presque :  « New York... Bombes... 2001... tourisme catastrophe ». Le 11 septembre aurait donc eu des conséquences jusqu'à ce petit hôtel de routards dans cette petite ville de Syrie... On a du mal à imaginer qu'avant les événements, les touristes venaient par centaine à Tartous... Mais devant la morosité, voire la tristesse, de notre patron d'hôtel nous n'osons pas répondre. Nous demandons plutôt si un petit déjeuner est servi le matin suivant. « Non, il fait trop chaud ». Devant la surprenante réponse, nous en déduisons que les habitants ici ne mangent que 6 mois dans l'année. Les 6 autres, ils restent avachis devant la télévision à regarder Nour.



Arwad

L'arrivée sur l'île se fait par bateau-navette conduit la plupart du temps par des adolescents. Pas de bouée de sauvetage et de bateau-secours, on ne pense pas à cela en Syrie.

L'île est habitée par un grand nombre de pêcheurs. On y recoud les filets dans les café pendant que les copains battent les cartes.

A Arwad, pas de plage pour se baigner. Au bord du rivage, les maisons ont les pieds dans l'eau.

L'événement sur l'île, c'est le départ en mer pour 10 mois d'un bateau construit à la manière des Phéniciens. Nous rencontrons l'équipage. Il s'agit de jeunes venus d'Angleterre. Une diplômée en communication, un ingénieur en électronique... On se demande comment ils vont réussir à dompter les vents dans l'embarcation sans moteur. "Au nouvel an, on sera au Cap Horn". Ou six terre sous terre... On se dit que leur expédition,  c'est un peu comme courir un 4X100 mètres aux JO sans entraînements et en tongues, qui plus est.