Depuis Gaza
De l'Egypte à Gaza
L'attente
Cela vaut-il vraiment le coup ? Que ferai-je là-bas si tout est fermé ? Je
me suis posée ces questions mille fois avant de finalement partir du
Caire pour Rafah, la ville à cheval sur l'Egypte et Gaza. Ici se trouve
le point de passage pour entrer dans la bande de Gaza. Une frontière
qui a ouvert exceptionnellement pendant les bombardements israéliens
pour laisser passer des camions d'aide humanitaires. Les journalistes
n'ont pu y passer qu'une matinée depuis le début des attaques... Je m'y
rends donc sans trop y croire, en ne prenant pratiquement pas de
vêtements de rechange. Je me retrouve parmi une centaine de
journalistes qui attendent, pour certains, depuis près de trois jours.
A cette frontière en plein cagnard, on tue le temps comme on peut. La
palme revient aux journalistes venus d' Indonésie qui, très zen, ont
passé leur journée à écouter les Beatles assis par terre...
Le passage
Alors
que le soleil commence à se coucher, certains journalistes repartent,
découragés. Je pense également à repartir moi aussi lorsqu'un soldat
s'approche de la barrière et demande aux journalistes d'entrer. Notre
passeport à bout de bras, nous courons et pénétrons tous dans le
terminal dans une bousculade digne d'un premier jour de soldes. Il
faudra deux heures d'attente et d'angoisse pour obtenir le fameux
tampon de sortie de territoire. Pour certains confrères, dont le
dossier afin d'entrer dans la bande de Gaza, n'est pas complet, ce sera
retour au Caire.
Arrivée dans la bande de Gaza
La route en taxi
Quand
je sors du terminal, il fait nuit depuis déjà longtemps. Je partage un
taxi avec une consoeur irlandaise, habituée aux terrains de guerre.
Direction Gaza City. J'aperçois des maisons en ruines. La voiture
coquète sur la route défoncée. Des odeurs pestilentielles se dégagent
de dehors: « Comment être sûr que ce n'est pas l'odeur des corps sous
les décombres... » me lance ma voisine.
L'hôtel
Le
taxi nous dépose devant un hôtel, tout confort, le « Al Qods »
(Jérusalem). Une jolie bâtisse, avec des moucharabieh, ces grillages en
bois sculptés, disposés à l'accueil. La nuit coûte ici 100 dollars. Un
peu cher, mais il n'y a pas le choix. Des employés en costume trois
pièces nous portent nos sacs dans la chambre. Je reste bouche bée
devant ce luxe... Dans la chambre, je tire les rideaux. Des sacs
plastiques ont été installés la place des vitres. Je comprendrai plus
tard en me promenant au centre ville que je ne suis pas la seule dans
ce cas. Les vitres ont tout simplement été soufflées lors des
bombardements. Même ma collègue, qui a pris une splendide suite, n'a
plus de fenêtres...
Une vue hors du commun
A
6 heures du matin, je suis réveillée par incroyable vacarme. On aurait
dit qu'un feu d'artifice était tiré devant ma fenêtre.. Je regarde à
travers les sacs de plastique. Je découvre que j'ai vu sur la mer... Et
que le bruit vient bien d'ici. Des missiles sont tirés par des
israéliens pour repousser des pêcheurs palestiniens, sur leur petit
bateau. Ces derniers semblent très têtus et ne veulent pas se reculer
au delà d'une bouée blanche. L'invraisemblable bataille va ainsi durer
près de deux heures...
Les Gazouis, entre détresse et espoir
La détresse de la famille Samouni
Quand
elle raconte au drame qu'elle a vécu, Amel, 10 ans, reste de glace.
Cette petite fille a vu les soldats israéliens abattre sa mère, son
frère, ses cousins, ses tantes... Elle habite dans le quartier de
Zeitoun, à Gaza ville. Amel me parle de Condoleeza Rice, de Barak
Obama, de stratégies militaires, politiques. Quand on lui demande
pourquoi elle ne joue pas plutôt à la poupée, comme les autres enfants,
elle répond : « Je n'en ai plus, les Israéliens les ont cassées ».Je
découvrirai que beaucoup d'enfants sont comme elle, très mûrs avant
l'âge.
La vie qui reprend
Après deux jours
passés à Gaza, je réalise que je passe la journée à voir des ruines,
mais que j'ai pourtant le sourire. C'est que, malgré la tragédie qu'ils
viennent de connaître, les Gazaouis sont très souriants. Ils mettent
toute leur énergie à refaire surface. Dans le grand souk de Gaza, ils
m'invitent à partager une mahalabeya, un dessert très répandu au Moyen
Orient, qui rappelle un peu le riz au lait.
Islam, l'interprète
Lors
de mes reportages, j'ai besoin de quelqu'un pour m'accompagner. Cette
personne, Palestinienne, sera chargé de traduire certaines interviews,
de me faire rencontrer les personnes souhaitées. La qualité des
reportages dépend en grande partie de cette personne, de sa bonne
volonté à trouver d'innombrables, en permanence, des solutions...
Islam, un étudiant en français, m'accompagnera. Bonne pioche ! Il fait
preuve d'une rare patience. Une fois mon sujet tourné et monté, je dois
trouver une manière de l'envoyer en contactant une télévision locale à
Gaza. Or, sur mes 3 téléphones, pas un ne fonctionne ! C'est donc lui
qui s'est chargé de me trouver un créneau pour envoyer mon sujet par
satellite.
A la fin de notre collaboration, je lui ai demandé s'il
avait le souhait de venir en France. Sa réponse était lourde de sens :
« Paris, Gaza, New York, peu importe pour nous. Une ville agréable pour
nous est une ville où l'on est en sécurité ».
Marion Touboul