Duel décisif en Egypte

Les islamistes ou les militaires ? C’est le choix délicat et douloureux, auquel sont confrontés les Egyptiens. Les trois candidats issus de la révolution étant recalés au premier tour de la présidentielle, reste en course deux hommes d’une soixantaine d’années mais que tout oppose. D’un côté, l’islamiste Mohamed Morsi, chef du parti Justice et Liberté fondé par les Frères musulmans au lendemain de la révolution. L’homme, très peu charismatique, doit sa force aux millions d’habitants des petites villes ou de la campagne égyptienne qui survivent depuis des décennies grâce aux projets et aux aides de la confrérie en matière de santé, d’éducation. Le candidat tente désormais d’élargir son électorat en rassurant les femmes et les chrétiens. D’assouan à Alexandrie, il affirme qu’il n’imposera pas le port du voile.

Mais la tâche de Mohamed Morsi est immense à l’image du nombre d’Egyptiens déçus par les Frères musulmans sortis de l’ombre à l’automne dernier en devenant majoritaires au Parlement. “Depuis qu’ils sont au pouvoir, ils enchaînent les mensonges. Ils avaient par exemple annoncé qu’ils n’allaient pas présenter de candidat à la présidentielle avant de revenir sur leurs propos. Je ne leur fais plus confiance”, confie, catégorique, Abdelhalim, un chauffeur de taxi cairote qui a les pourtant toujours soutenus.

Le père de famille a changé de camp, il vote désormais pour le rival de Mohamed Morsi, le très contesté Ahmed Chafiq, général de l’aviation, dont le nom évoque la guerre de 1973 où le pilote de chasse a abattu deux avions israéliens. C’est aussi le dernier premier ministre de Hosni Moubarak. Celui qui, pendant la révolution, distribuait des bonbons aux manifestants pour les pousser à rentrer chez eux. Le maître-mot de sa campagne : la stabilité, si chère aux Egyptiens les plus modestes asphyxiés par la crise économique. “Sa force, c’est de faire preuve de fermeté sur le nécessaire retour à l’ordre. Il ne cherche pas non plus à arrondir les angles en revenant sur ses relations à Moubarak. Il a joué franc jeu et les Egyptiens ont apprécié”, analyse l’homme d’affaires Elhamy Zayyat, un proche du candidat.  “Il ne veut pas rétablir l’ancien régime, de toute façon, ce serait impossible. Les amis de Gamal (ndlr : le fils de l’ancien président) étaient les plus nuisibles et ils ont quitté le pays. Quant aux amis du père, ils vivent encore en Egypte mais ont tellement de problèmes qu’ils ne pensent pas revenir au pouvoir”.

Pour les révolutionnaires, le duel Morsi-Chafiq est le pire des scénarios envisagés. Avec Ahmed Chafiq, ils redoutent que les militaires, à la tête du pays depuis la révolution, continuent à gérer le pays dans l’ombre mais avec la plus grande brutalité rendant impossible la contestation. Autre angoisse des militants : L’avenir de Moubarak. “Si Ahmed Chafiq est élu, la premier chose qu’il fera, ce sera de gracier son ancien patron et on aura tout perdu”, s’exclame, la voix pleine de rage, Abou Mohab, dont le fils de 19 ans a été abattu pendant la révolution.

Depuis une semaine, Abou Mohab a repris le chemin de Tahrir. Comme des dizaines de milliers d’autres. L’acquittement des deux fils de l’ancien raïs ainsi que de six militaires a été l’étincelle qui a rallumé les braises du feu révolutionnaire. “D’un côté, ils condamnent Moubarak à la prison à vie et de l’autre ils innoncentent des personnes tout aussi fautives que lui, c’est la preuve de l’armée tient les cartes”, poursuit Abou Mohab. Sur Tahrir, les Frères musulmans, présents en nombre, s’efforcent de persuader les révolutionnaires de choisir leur candidat Morsi, opposant de toujours à l’armée et à Moubarak. Mais les militants ne sont pas dupes du jeu politique dans lequel ils se retrouvent prisonniers. Indécis, en colère ou désespérés,  beaucoup ont décidé de boycotter le second tour.

Marion Touboul pour Valeurs Actuelles