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16 décembre 2009

Quand les chiffonniers du Caire se mettent au biogaz

Dans le cadre du sommet de Copenhague, zoom sur les chiffonniers du Caire qui font leur cuisine au biogaz !

Un reportage pour Europe 1 ...




... Et pour l'hebdomadaire La Vie.

(Cliquer sur les pages pour les agrandir)


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Photos de Pauline Beugnies

« Dieu est le plus grand recycleur d'ordures de tous les temps. Il nous accepte avec le péché quand on est sale, usés. Il nous nettoie et nous remet en état de fonctionnement » lance Thomas Culhane, la quarantaine, en arpentant les rues de Mancheyet Nasser, l’un des quartiers des chiffonniers (« zabbalines », en arabe), les ramasseurs d’ordures de la capitale. Il salue au passage une jeune chiffonnière, au visage radieux. Autour d'elle pourtant, des monticules de sacs d'ordures. Un par un, elle les ouvre et sépare tout ce qui peut être recyclé (papiers, cartons, plastiques...) des déchets alimentaires. Assis à ses côtés, ses enfants l'aident, pieds nus dans les poubelles sous le regard protecteur de la Sainte Vierge, dont des représentations sont accrochées à chaque coin de rue. Sur certaines façades d'immeubles, on trouve aussi des portraits de Soeur Emmanuelle. La religieuse, décédée en octobre 2008, est l'idole de tout le quartier. Les habitants la considèrent comme leur « mère » ou, tout du moins, comme leur « protectrice ». Elle a contribué à améliorer considérablement les conditions de vie ici en construisant notamment une école et un hôpital.

Porté par l’action de la religieuse, Thomas Culhane, urbaniste américain et passionné d’écologie, a souhaité aller plus loin en développant dans ce quartier très populaire, où le salaire moyen est de 25 euros par mois, l’énergie solaire et surtout, la cuisine au biogaz :« Ce qu'il se passe avec Mancheyet Nasser, c'est comme ce qu’il se passe avec le soleil. Il y a ici un fort potentiel que tout le monde néglige», constate Thomas qui fait maintenant de fréquents aller-retour entre les Etats-Unis et l'Egypte pour mener à bien son projet. Sac de randonneur vissé au dos et démarche assurée, Thomas fait penser à un professeur « Foldingue » de l’environnement. Le voilà qui s’engouffre dans un grand immeuble et en gravit les marches quatre à quatre. Direction le toit où se trouvent les trois panneaux solaires et l'étonnant engin à biogaz qu'il a conçu. A ses côtés, l’un des propriétaires du lieu, Hanna, un jeune chiffonnier de 26 ans, qui accompagne l’urbaniste depuis le début de l’aventure, il y a un an. Depuis le toit de l’immeuble, la vue est imprenable sur Le Caire. Pourtant aujourd’hui la vue est obturée par endroits par une étrange brume grise, issue de la pollution. La capitale égyptienne serait, selon les Nations Unies, l'une des villes les plus polluées d'Afrique. Et la préservation de l'environnement est loin d’être une priorité pour le gouvernement égyptien. Les climatisations tournent toute l'année à un train d'enfer, tout comme les moteurs de guimbardes qui, en France, seraient déjà à la casse depuis des décennies. Quant au soleil qui brille 340 jours par an, aucune structure n'a encore été créée pour transformer cette ressource en énergie. Aujourd’hui, le thermomètre affiche 30 degrés. Alors que la plupart des Cairotes sont terrés chez eux en attendant la fraîcheur, Thomas et Hanna, eux, sont contents. Leurs panneaux solaires fonctionnent à plein régime tout comme le biogaz :« Plus il y a du soleil, plus la production de gaz est intense ». Inventé en Inde où Thomas s’est rendu afin d’en apprendre la technique, l’engin consiste en un fût hermétique où a été déposé du fumier puis, jours après jours, des déchets organiques. « Après, c’est le même fonctionnement que l'estomac d'une vache : Les bactéries, à l'intérieur, dévorent les déchets et libèrent du méthane et du CO2 ». Le gaz sort ensuite du fût par un tuyau qui court jusqu’à la cuisine d’Hanna, quinze mètres plus bas . Une fois brûlé, le gaz perd alors toute sa toxicité. Deux kilos de déchets alimentaires suffisent ainsi à produire deux heures de gaz, totalement bio.

L’idée du biogaz est venue à Thomas en visionnant le film « Mad Max et le dôme du tonnerre » (1985), avec Mel Gibson et Tina Turner. Après une guerre nucléaire, le héros se retrouve dans une ville futuriste où l'électricité et la chaleur sont produites à partir de fumier de porc. Notre passionné d’écologie et sa femme, Sybille, pensent alors aux milliers de cochons utilisés par ses amis chiffonniers au Caire pour se débarrasser des déchets organiques accumulés après le tri des poubelles. Mais coup de théâtre, quelques mois après le début du projet, le gouvernement égyptien décide, en pleine psychose de la grippe porcine, d'abattre tous les cochons du pays. C'est alors que, paradoxalement, le projet du couple prend tout son sens : « Le biogaz allait pouvoir permettre aux zabbalines d’évacuer, comme le faisaient les porcs, les ordures ménagères qui s’accumulaient déjà dans le quartier ». Cinq familles font aujourd’hui leur cuisine au biogaz et une vingtaine sont équipées de panneaux solaires. « Notre but n’est pas d’installer ces nouvelles technologies à la va-vite et de partir. Nous avons un pacte avec chaque famille intéressée : Nous payons les matériaux mais, en échange, elles construisent le biogaz avec nous. Nous voulons que les familles s’approprient cette technologie, qu’elles connaissent impeccablement le fonctionnement du fût qui contient le biogaz, pour pouvoir l'entretenir elles-même et l’installer ailleurs », explique Thomas Culhane alors que Sabah, la femme d’Hanna, prépare du thé au biogaz dans sa cuisine.

Depuis son appartement, Sabah assiste les deux hommes dans toutes les étapes du projet... quitte à se faire de grosses frayeurs. Une nuit, elle est réveillée par une odeur d'oeufs brouillés. Elle constate qu'un rat, de la taille d'un lièvre, vient de ronger le tuyau en plastique entre le toit et la cuisine et que le gaz s'échappe depuis plusieurs heures : « Ils n'avaient pas pensé que le plastique est le matériau favori des rats... », se souvient la jeune maman. Mais force est de constater pour Sabah que l'arrivée de ce drôle d'engin a eu aussi un impact positif immédiat sur ... le porte-feuille de la famille. Leur consommation de bombonnes de gaz traditionnelles a pratiquement été divisée par deux. « Le biogaz peut même rapporter de l'argent ! » ajoute Hussein Souleimane, qui est également l'hôte d'un biogaz sur son toit à Darb El Ahmar, un autre quartier populaire, non loin de la célèbre mosquée Al Azhar et de son grand parc fleuri. Ce père de famille revend l’engrais qui s’accumule au fond de l'appareil par bidons de cinq litres ! Le gouvernement égyptien commence tout juste à s'intéresser à l'initiative de Thomas et Sybille. Mais il ne les soutient encore pas financièrement : « Les Egyptiens émettent beaucoup de doutes sur notre projet à cause de la population à laquelle nous nous adressons. Ils pensent que si les habitants Mancheyet Nasser sont pauvres, c'est parce qu'ils sont empotés», explique Thomas Culhane. Peut-on donc imaginer l'arrivée de la cuisine au biogaz dans les quartiers chics de la capitale ? « Non, réplique directement Hanna. Les riches ne veulent pas encombrer leur toit d'une machine qui n'est pas encore très esthétique ». Leur principal soutien vient du magazine National Geographic qui parraine de temps en temps des projets comme le leur. Une reconnaissance d'autant plus grande pour Thomas que lui et son association, Solar Cities, n'ont jamais eu à déposer de dossier : « Ils sont venus nous chercher. C'est la preuve que nous pouvons réussir », souligne-t-il. Le nouveau défi pour Thomas et Hanna est maintenant de produire et stocker de l'électricité, toujours grâce au biogaz. Avec, en toile de fond, le rêve de voir devenir Mancheyet Nasser un exemple pour d'autres villes qui, comme eux, ne veulent plus du pétrole.

Marion Touboul

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