Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
vu d'ici
vu d'ici
Publicité
vu d'ici
Archives
Visiteurs
Depuis la création 46 993
16 mai 2011

Une semaine à Lampedusa

Vue du ciel, Lampedusa fait penser à une poussière entre deux immenses continents l'Europe d'un côté et l'Afrique de l'autre.carte_sit_lampedusa432

A mi-chemin entre ces deux mondes, l'île a toujours été une terre d'accueil pour navigateurs, pêcheurs, explorateurs, qui venaient profiter de son sable fin, de ses vertigineuses falaises, semblables à la Normandie, et de ses eaux turquoises.

Cinq mille habitants peuplent aujourd'hui l'île de la dimension d'un petit village - onze kilomètres sur trois. L'économie est basée entièrement sur le tourisme. L'été, l'île triple son nombre d'habitants. Sauf cette année. « Tout ça à cause de la France qui a déstabilisé la Libye et tout le Moyen Orient », lance un habitant exaspéré par les révolutions arabes. A Lampedusa, les hôtels sont vides et il n'y a pas une réservation d'ici août. Pas une. L'île est au chômage technique pour une durée indéterminée. Berlusconi a promis des indemnisations mais, pour le moment, la seule chose que son gouvernement a mis en place c'est une campagne télévisée pour pousser les Italiens à passer leurs vacances sur l'île « mais les gens ne sont pas bêtes. Après les belles plages dans les pubs l'après-midi, ils voient l'arrivée des migrants dans les infos du soir, alors ça sert à rien » me confie un insulaire attablé au café.

« S'il te plaît Khadafi, cette fois-ci ne nous loupe pas ».

En plus du sentiment d'être abandonnés par leur propre dirigeant, ils frissonnent en pensant à cette guerre qui fait rage juste à leur porte, en Libye.  En 1982, du temps où l'île abritait une base de l'Otan, Kadhafi a envoyé deux missiles à proximité de Lampedusa en guise de menace. Encore traumatisés par le bruit sourd de ces tirs, les habitants ont accroché ce panneau au centre de l'île : « S'il te plaît Khadafi, cette fois-ci ne nous loupe pas ».

Aujourd'hui, après trois jours de sirocco, ça ne « moutonne » plus à l'horizon. La mer est un immense miroir. Les habitants, retiennent leur souffle en attendant les nouvelles arrivées. Combien de migrants vont arriver, 1000, 2000 ?

La nuit passe et, à l'aube, les premières arrivées sont signalées. Les bateaux de la guardia di finanza, les douaniers italiens, suivis de prêt par ceux des garde-côte, larguent les amarres. Ils s'en vont escorter les embarcations repérées dans les eaux italiens jusqu'à Lampedusa. Ces marins montent parfois directement à bord pour conduire eux même le bateau qui n'est souvent plus qu'une épave et ses passagers qui n'ont plus la force de tenir le gouvernail, jusqu'aux côtes.


"Lampedusa est pleine... Pleine !"

Ce ballet incessant (en moyenne un bateau arrive chaque jour quand il fait beau), terrorise les habitants. Sur le port, l'un d'entre eux crie en direction du large « Lampedusa est pleine... Pleine ! ».

« Les Lampedusiens ne sont pas racistes, mais il faut les comprendre, ils ont peur, ils ne savent pas où ça va s'arrêter ».  Gianluca est un jeune insulaire à la tête d'Askavusa une petite association d' anarchistes qui viennent en aide aux migrants.  Il tient aussi le Bar Royal, un café ouvert par son père. Ils ont été les seuls en février dernier, quand 7000 Tunisiens sont arrivés sur l'île, à leur servir le café dans des tasses en céramique. Tous les autres restaurateurs et clients, avaient peur des maladies. « La seule fois qu'on a utilisé les verres en plastique, c'était quand il ne restait plus de tasses. Car les Tunisiens, ils ne sont pas comme nous les Siciliens qui avalons notre café d'une seule traite. Eux, leur café, ils en savouraient chaque goutte. Ils restaient parfois une heure assis à le boire lentement ». Cette audace leur a valu de se mettre à dos une bonne partie de l'île.  

De jour comme de nuit, Gianluca et ses amis assistent à chaque débarquement sur le port pour distribuer thé, vêtements chauds et biscuits aux migrants. Et recueillir leurs témoignages. Gianluca me raconte celle du frère à Wissem, un Tunisien qui vit désormais à Paris. « Wissem est revenu à Lampedusa pour savoir ce qui était arrivé à son petit frère de 18 ans, disparu en mer. Il l'avait au téléphone lors de sa traversée et puis la communication a coupé subitement. Sa barque a, en fait, pris l'eau. Sur 100 passagers, seuls 7 ont réussi à survivre en s'accrochant au reste du bateau. Dont le frère de Wissem. Puis il a fini par se laisser couler deux heures avant l'arrivée de la guardia di finanza ».

Une première embarcation, un vieux rafiot bleu qui fait péniblement son tout dernier voyage, entre au port. La barque est pleine à craquer de Sub-sahariens et de Bangladais qui ont fuit Tripoli où ils travaillaient. Les policiers les font entrer les uns après les autres dans un bus qui les conduira vers un centre de rétention sur l'île. Durant ce laps de temps, des migrants qui ont la tête baissée, comme pour s'excuser d'envahir leur île, lèvent alors les yeux et croisent le regard d'un habitant venu s'assurer que « ce n'est pas de la science-fiction ». Après ce regard, ils s'échangent ensuite un timide geste de la main, puis un plus grand, puis un clin d'oeil, puis un grand sourire. « C'est ça les Lampedusiens. Ils sont capables de dire les pires horreurs sur les migrants, et quand ils sont en face d'eux, ils sont tellement touchés par ces gens qu'ils sont prêts à tout leur donner », lance Gianluca.

Je reste quant à moi bluffer par ces contacts, comme de petites étincelles, si brèves mais si intenses entre ces deux mondes qui partagent au fond un même sentiment, celui d'être totalement laissés pour compte.

Liberta, la chanson écrite et composée par l'un des membres d'Askavusa

 

Lampedusa 24/01/2009 from giacomo sferlazzo on Vimeo.

Publicité
Publicité
Commentaires
Publicité