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20 mai 2012

Les chrétiens et la présidentielle

Les 23 et 24 mai auront lieu le premier tour de la présidentielle égyptienne. Les chrétiens qui redoutent la victoire des islamistes sont de plus en plus nombreux à projeter de quitter le pays...

On vit dans une bulle, c’est ce qui nous permet de tenir”, confie Ragi, la trentaine, francophone, grec catholique, à l’entrée du club de sa communauté, dans le quartier chic d’Héliopolis, à l’est du Caire. L’endroit fait partie de sa “bulle” . La clientèle est ici triée sur le volet “c’est interdit aux musulmans, c’est plus simple pour nous retrouver entre chrétiens”, précise-t-il.

27-ragi et sa familleDans cet îlot emmuré, plusieurs terrains de jeux pour les enfants, une cafétéria flambant neuve, une salle de restaurant et une cour où se retrouvent les familles. Ragi passe “au moins trois soirées par semaine” ici accompagné de sa femme, Chantal et de leurs deux filles. Sa famille fait partie de celles qui prévoient d’émigrer en cas d’entrée des islamistes dans le gouvernement, dans la foulée de la présidentielle dont le premier tour est prévu les 23 et 24 mai.

Dans ce scrutin qui compte 13 challengers, deux courants s’opposent. D’un côté des islamistes avec comme candidat favori, Abdel Moneim Aboul Fotouh, un ancien de la confrérie des Frères musulmans considéré comme réformateur. Il a pourtant récemment  reçu le soutien des salafistes, musulmans radicaux dont l’objectif est le retour à la pratique de la charia (ndlr: la loi islamique). Physicien de formation, l’homme à la barbe coupée court, très peu connu des Egyptiens avant la campagne électorale, a acquis le soutien d’une partie des forces révolutionnaires de par sa présence parmi eux lors des 18 jours du soulèvement contre Moubarak, à l’hiver 2011. Face à lui, les libéraux, les laïcs avec comme tête de proue, Amr Moussa, 75 ans, ancien ministre des affaires étrangères sous Moubarak et ancien secrétaire général de la ligue arabe. L’homme est détesté par une large partie des militants pro-démocratie qui le considère comme faisant partie des Feloul littéralement des “résidus” de l’ancien régime.

Ragi, le chrétien, votera pour Amr Moussa comme très probablement le reste de la communauté grec catholique estimée à 5000 familles. Tant pis pour la révolution. “Les islamistes sont déjà majoritaires au parlement, s’ils entrent dans le gouvernement, ce sera terminé pour nous”. La montée de l’islam radical suscite doublement son inquiétude.  En plus d’être chrétiens, Ragi et sa femme sont guides touristiques. Une profession fortement sinistrée après la révolution.  Le père de famille craint que l’activité ne redémarre pas avec un président islamiste. “J’ai eu l’occasion de rencontrer les différents candidats pour discuter du tourisme avec eux. Les islamistes ont refusé de parler du tourisme balnéaire qui représente 92% de l’activité. Ils ont seulement dit que les touristes seront totalement libres de faire ce qu’ils veulent mais dans des espaces privés comme leurs hôtels !

Par conséquent, le couple, qui a double nationalité italienne, commence à prospecter pour du travail en Europe ou aux Etats-Unis. Leur histoire n’a rien d’une exception, elle s’inscrit dans un courant qui va au contraire en s’accroissant. Selon un rapport de la fédération égyptienne des droits de l’homme, 93 000 chrétiens auraient émigré au cours des six mois qui ont suivi la révolution.

20-Ayman(immigrationAyman est, lui, sur le départ. Cet ambitieux journaliste francophone de 38 ans, employé de l’agence officielle de presse égyptienne (Mena) s’en ira pour le Canada une fois qu’il aura liquidé ses biens en Egypte. Trois ans qu’il monte son projet d’émigration jusqu’à l’obtention du Graal, la carte de résident canadien. “Là-bas, je serai interprète ou journaliste, je pourrai faire carrière. Ici, c’est impossible. En tant que chrétien, je ne peux pas être, par exemple, chef de département ou correspondant de l’agence à l’étranger. Ces postes sensibles sont à destination de mes collègues musulmans seulement”. Sur 6 journalistes chrétiens que compte la Mena (sur un ensemble de 280 journalistes), trois vont émigrer d’ici un an. A la présidentielle, Ayman projetait de voter pour Mohamed El Baradei, prix Nobel de la paix et instigateur du changement en Egypte avant la révolution. Mais le diplomate égyptien a finalement décidé de se retirer de la course. “Je n’ai plus qu’à voter blanc. Entre des islamistes et Amr Moussa, ancien cadre sous Moubarak, je n’ai pas le choix”. Voyant Ayman monter son projet d’émigration, sa grande soeur et son mari se sont mis eux aussi au français dans le but de partir vivre au Canada avec leurs trois enfants. “Ils habitent à Alexandrie. C’était une ville ouverte avant. Désormais, elle est devenue le fief des salafistes, ils craignent pour l’avenir de leurs enfants”.

04-famille du martyr AbanobNous sommes le 7 mai. La nuit vient de tomber sur Imbaba, quartier très pauvre de l’ouest du Caire. Les habitants profitent de la fraîcheur pour faire leurs courses, les enfants jouent dans les rues. Une soirée normale, ou presque. Il y a un an, des salafistes, en masse, prenaient d’assaut les deux églises d’Imbaba prétendant que deux femmes de prêtres y seraient cachées contre le gré après s’être converties à l’islam. Bilan : 12 morts (dont 6 chrétiens). L’église de la Vierge, réduite en cendres lors des affrontements a été depuis reconstruite. Mais les cicatrices sont toujours là. Dans ce quartier baptisé la “république islamique d’Imbaba” dans les années 90 par des extrémistes qui avaient pris le contrôle du quartier, on sait qu’il suffirait d’une étincelle, comme une parole, pour que le feu intercommunautaire reprenne. Alors la plupart des habitants, qu’ils soit chrétiens ou musulmans préfèrent se taire ou être très diplomates : “Les personnes à l’origine de cette attaque ne sont pas du quartier. Ici, tout se passe bien entre nous”, explique l’une des fidèles à l’entrée de l’église Mar Mina où sont morts, tués par balles, la plupart des victimes. Chacun vit dans sa rue et fréquente les commerçants de sa confession. Dans le périmètre des coptes, on trouve, collé aux portes des maisons, un autocollant avec les portraits de chrétiens morts il y a un an. Oum Abanob est la mère du plus jeune d’entre eux. Inconsolable depuis un an, elle n’ira pas ce soir à l’église où une veillée très sobre est organisée. Elle voulait une vraie commémoration avec les portraits géants des victimes accrochées dans l’église mais le clergé a refusé pour, là encore, ne pas attiser les braises. “Mieux vaut faire profil bas, les 17 personnes arrêtées ont été relâchées récemment, il pourrait y avoir des vengeances”, note Afaf, responsable des familles des victimes. A la veille de la présidentielle, la paroisse orthodoxe se sent d’autant plus fragilisée qu’elle n’a plus de représentant officiel depuis la mort le 17 mars dernier du pape des coptes Chenouda 3. L’élection du future primat aura lieu à la rentrée.

Loin d’Imbaba, d’autres chrétiens estiment au contraire que c’est le moment pour eux de s’exprimer. “Ce n’est pas au pape de nous dire comment nous devons penser, pour qui nous devons voter, c’est à nouveau, citoyens de débattre, de nous réunir autour d’unions, de coalitions”, explique très posément Boulis Zake, membre fondateur de la coalition des coptes d’Egypte, créée il y a trois mois. Le militant est aussi un rescapé. Le 16 décembre dernier, il manifeste avec des milliers d’Egyptiens devant le conseil des ministres quand les militaires commencent à lancer des pierres sur la foule. Boulis reçoit un pavé en marbre sur la tête. S’en suivent quarante points de suture et un mois d’hospitalisation. “A ma sortie d’hôpital, un ami est venu me parler de l’idée d’un groupe mixte pour discuter de l’avenir de l’Egypte, c’est ce qui m’a permis de ne pas sombrer”. Aujourd’hui, le groupe compte 26 membres actifs, dont 6 musulmans parmi lesquels un cheikh de l’institution Al Azhar et Mohamed, grand sourire :  “En tant que musulmans modérés, nous avons les mêmes objectifs que les chrétiens à savoir : se débarrasser des extrémistes”.


En vue de la présidentielle, la coalition rencontre tour à tour les cinq candidats laïcs. “Les islamistes, y compris Aboul Fotouh, ont pour but final d’imposer à tous la charia. Ca ne nous intéresse pas”, explique Boulis. Pour qui le militant votera-t-il ?  “Je ne sais toujours pas. Les révolutionnaires comme moi sont coincés : Avec Amr Moussa, mon quotidien de chrétien sera protégé et avec les islamistes, je suis sûr que les militaires seront jugés pour les crimes qu’ils ont commis depuis un an”.

Marion Touboul

(La Vie)

Crédit photos : Françoise Beauguion

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